Pourquoi la marque employeur est indissociable de la QV(C)T

La marque employeur est un sujet souvent abordé au moment des recrutements ou des départs voire elle est considérée comme un sujet de communication RH. Pourtant le concept repris par les universitaires est en fait bien plus complexe et complet que le terrain ne le suppose (ce que de récents échanges me laissent entendre). Il me semble donc judicieux de rappeler ce qu’est la marque employeur mais aussi de souligner qu’elle fait partie intégrante des questions de qualité de vie au travail (entendue au sens large).

S’il est un concept qui me semble mal connu, c’est celui de la marque employeur. Il est en effet souvent abordé d’une façon restreinte : en rapport aux recrutements pour attirer les meilleurs talents ou pour éviter les critiques désastreuses des collaborateurs sur leur futur ex-employeur sur des sites tels Glassdoor. D’autres fois, la marque employeur est considérée comme un seul sujet de communication ou de marketing RH, surtout quand apparaissent dans la presse des classements ayant pour objectif de positionner les entreprises les unes par rapport aux autres comme les « meilleures entreprises où travailler » ou « employeur idéal » (cf. par exemples le classement Top Employeur France ou celui du magazine Fortune des entreprises les plus admirées).

Il faut néanmoins garder à l’esprit que le concept de marque employeur est beaucoup plus vaste que cela. Les premiers auteurs à avoir parlé de la notion d’ « employer brand » dans les années 1990 sont un consultant et un professeur de marketing : respectivement il s’agit de Simon Barrow (le fondateur d’un cabinet de consultant londonien « People in Business ») et Tim Ambler, professeur de marketing à la London Business School (également diplômé d’Oxford et du MIT). Ensemble, ils ont publié le premier article sur le concept d’employer brand dans la revue scientifique « The Journal of Brand Management ». (cf. Ambler, T., & Barrow, S. (1996). The employer brand. The Journal of Brand Management, 4(3), 185‑206).

Bien que le concept d’employer brand ait été fondé sur des méthodes scientifiquement discutables et des conclusions trop universelles pour décrire une réalité complexe, « la définition du concept proposée par Ambler et Barrow (1996) est néanmoins largement retenue par les chercheurs » comme le montre un article récent dans le domaine des sciences de gestion (cf. Charbonnier-Voirin, A., & Vignolles, A. (2015). Marque employeur interne et externe, Un état de l’art et un agenda de recherche. Revue française de gestion, 1(246), 63‑82, p. 64). Quel est donc leur concept ?

Selon Ambler et Barrow, la marque employeur désigne « l’ensemble des avantages fonctionnels, économiques et psychologiques inhérent à l’emploi et avec lesquels l’entreprise, à titre d’employeur, est identifiée » (Ambler & Barrow, 1996, p. 187). Reprenons donc cette définition :

  • Les avantages fonctionnels : ils correspondent à l’intérêt et à l’utilité du travail ainsi qu’aux activités de développement pour le salarié
  • Les bénéfices économiques : ils renvoient aux avantages financiers et matériels
  • Les avantages psychologiques : ils introduisent les sentiments d’appartenance et de contrôle

Si Ambler et Barrow (1996) identifient ces trois composantes théoriques, Berthon et ses collègues (cf. Berthon P., Ewing M. et Hah L.L. (2005). “Captivating company: dimensions of attractiveness in employer branding”, International Journal of Advertising, vol. 24, n° 2, p. 151-172) mesurent pour leur part la marque employeur au travers de cinq dimensions :

  • La valeur d’attrait (intérêt du travail) ;
  • La valeur sociale (ambiance de travail) ;
  • La dimension économique (rémunération, promotion) ;
  • La valeur de développement (carrière, formation)
  • La valeur de transmission.

Enfin comme le rappellent Charbonnier-Voirin et Vignolles (2015, op.cit., p. 65), selon Lievens (2007) la marque employeur se construit selon un processus en trois étapes : 1. l’organisation identifie et développe la valeur spécifique qu’elle offre à ses employés actuels et potentiels ; 2. Elle communique sur cette valeur proposée auprès des candidats ciblés et de ses salariés en utilisant les outils traditionnels du marketing ; 3. Elle soigne cette promesse faite aux recrutés en agissant conformément à celle-ci.

(cf. Lievens F. (2007). “Employer branding in the Belgian Army: The importance of instrumental and symbolic beliefs for potential applicants, actual applicants, and military employees”, Human Resource Management, vol. 46, n° 1, p. 51-69).

Au-delà des différences de définition, notons que les chercheurs semblent s’accorder sur le fait que la marque employeur représente les avantages potentiels qu’un employé voit dans le fait de travailler pour une organisation. Dès lors, comment ne pas faire le lien avec la thématique de la QVT devenue QVCT ?

Rappelons tout d’abord que la Qualité de Vie au Travail (QVT) définie selon l’Accord national interprofessionnel (ANI) du 19/06/2013 (p. 2): « peut se concevoir comme un sentiment de bien-être au travail perçu collectivement et individuellement qui englobe l’ambiance, la culture de l’entreprise, l’intérêt du travail, les conditions de travail, le sentiment d’implication, le degré d’autonomie et de responsabilisation, l’égalité, un droit à l’erreur accordé à chacun, une reconnaissance et une valorisation du travail effectué ». La QVT rejoint donc bien la marque employeur et inversement.

Précisons par ailleurs que cette définition de la QVT a été complétée par l’ANI du 09/12/2020 qui précise les six thématiques de la Qualité de Vie et des Conditions de Travail (QVCT) :

  • Le dialogue professionnel et le dialogue social
  • L’organisation, le contenu et la réalisation du travail 
  • La santé au travail
  • Les compétences et les parcours professionnels
  • L’égalité au travail
  • Le projet d’entreprise et le management

Là encore, la marque employeur et la QVCT se rejoignent sur leurs centres d’intérêt, la première étant intégrée à la seconde.

Notons enfin que si les partenaires sociaux ont souhaité compléter l’ANI de 2013 sur la QVT par l’ANI de 2020 sur la QVCT, c’est qu’ils voulaient rappeler qu’il existe un lien essentiel entre cette qualité de vie au travail tant recherchée et les pratiques de management et de leadership des organisations. En clair, les partenaires sociaux ont ajouté les termes « conditions de travail » à l’intitulé QVT afin de lever toute ambigüité :  c’est bien l’amélioration du travail et des conditions dans lesquelles le travail est réalisé qui doit être au cœur des démarches QVCT et non les « à-côtés du travail » : aménagement et décoration des bureaux, fruits et légumes, abonnement aux salles de sport ou pratique des massages peuvent présenter un intérêt mais ne permettent pas d’améliorer durablement les façons de travailler ni de donner du sens au travail. Bref, on ne peut se contenter d’un effet d’affichage en matière de qualité de vie au travail (entendue au sens large) comme on ne peut en faire de même quand il s’agit de la marque d’employeur.

En conclusion, la marque employeur et la thématique de la qualité de vie au travail ont de nombreuses convergences : elles sont une préoccupation venant du terrain et sont mises en avant par les consultants mais leurs conceptualisations sont également universitaires (ce qui n’est pas forcément le cas pour toutes les modes managériales et de leadership). En outre, la marque employeur concerne bien l’ensemble des salariés, et pas seulement ceux en phase de recrutements ou de départs. Marque employeur et QV(C)T demandent aussi à être définies, formulées et appliquées conformément à la promesse qu’elles engendrent sous peine a minima de profondes désillusions. Enfin, la marque employeur renvoie à différentes dimensions managériales et de leadership qui sont aussi traitées dans la thématique de la qualité de vie au travail. Elles ne sont donc pas qu’un objet de communication RH à destination des collaborateurs (actuels ou futurs) ou des autres parties prenantes internes ou externes (concurrents, actionnaires, media…). Bref, concevoir la marque employeur et la QV(C)T dans la pleine mesure de leurs définitions et les associer plus explicitement me semble donc être judicieux.

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