Qualité de vie au travail et espaces de travail

 

Un article des Echos titrait récemment « Pourquoi les Français détestent leurs bureaux ». L’accroche était quelque peu provocatrice pour permettre aux lecteurs de réfléchir à leur engagement au travail sous l’angle précis de l’éventuelle corrélation avec leurs espaces de travail. Au delà des questions liées à l’engagement au travail, thème bien connu au niveau des publications scientifiques en management des ressources humaines dont la synthèse dépasserait largement le format d’un article de blog, ce billet se propose donc de réfléchir à ces (nouveaux) espaces de collaboration contribuant à la qualité de vie au travail.

Début 2016 une étude de Steelcase de grande ampleur a été publiée, son objet était d’explorer le lien entre l’engagement des employés et leur environnement de travail. Réalisée en collaboration avec l’IPSOS, cette étude menée sur près de 12.500 personnes dans 17 pays est intéressante à plusieurs titres. Elle confirme une corrélation entre la perception de l’espace et le niveau d’engagement des employés: les employés très satisfaits de leur environnement sont aussi les plus fortement engagés. Inversement, ceux qui en sont très insatisfaits sont les plus fortement désengagés. Elle établit également un état des lieux des espaces de travail dans le monde et révèle enfin des constats qui diffèrent selon les pays étudiés. Parmi ceux-ci, le cas de la France est intéressant, voire même interrogeant: les Français se classent bon dernier en terme de satisfaction au bureau.

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Analyse typologique de l’engagement et de la satisfaction vis-à-vis de l’espace, Etude Steelcase, 2016, p. 86.

 

Plus encore, « avec un taux inquiétant de 54 %, la France compte le plus grand nombre de travailleurs désengagés de tous les pays de cette étude. Il est extrêmement difficile pour les 5 % d’effectifs fortement engagés de compenser l’influence négative de cette majorité d’employés désengagés ou neutres » (Etude Steelcase, 2016, p.85). Cette étude souligne enfin que les Français sont 31% à ne pas apprécier leur environnement de travail (pour les autres pays, la moyenne se situe à 22%), et même 12% à ne pas l’apprécier du tout (ils sont 8% dans les autres pays). Bref, la cause est entendue, les Français détestent leurs espaces de travail qu’ils qualifient souvent d’impersonnels. Cela rejoint les préoccupations de l’entreprise commanditaire de l’enquête (rappelons en effet que Steelcase est leader mondial dans la fabrication de mobilier pour l’aménagement d’espaces de travail, d’enseignement et de formation) mais au delà, cela nous permet de nous interroger sur le rapport que nous entretenons avec nos espaces de travail. Notre qualité de vie au travail en dépend.

En 2013, 43% des Français affirmaient ne plus supporter l’aménagement de leurs espaces de travail  (le chiffre tombait à 31% dans le monde selon le baromètre Actinéo sur la qualité de vie au bureau, chaire immobilier et développement durable de l’ESSEC, UK Green Building Council, édition 2013). Les causes évoquées? Les portes ouvertes ou fermées, le confort thermique et acoustique aléatoires, les lieux de réunions systématiquement sans fenêtres, etc. Pour autant, Nicolas Rousseaux affirme dans son article de l’Harvard Business Review France « Pourquoi les salariés n’aiment plus leur bureau » publié en janvier 2016 que le problème ne se situe pas là mais que  « la question majeure tient dans le passage d’une conception fonctionnelle de la répartition des mètres carrés (économie de production) à une architecture organique de l’espace de travail (économie de l’information) »En clair, il faut donc trouver une manière différente de travailler, vivre,  bouger et même inventer ensemble pour que de nouvelles formes de performance collective et durable puissent émerger. C’est certainement ce qui explique l’engouement médiatique pour le co-working.

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Le phénomène du co-working diffère des pratiques de « desk sharing » déjà partagées par des entreprises telles Accenture, Alcatel Lucent, Crédit agricole, Bouygues Télécom, Swiss Life, Cegid, Axa Tech, Bayer, Engie, Danone, Siemens, Orange… Toutes ces entreprises ont, il est vrai, fait le choix radical de ne plus attribuer de bureaux à une partie de leurs salariés ou à leur ensemble comme c’est le cas pour le groupe de conseil en communication Hopscotch.

Le co-working est quant-à lui une autre manière de partager l’espace de travail (notons cependant que les entreprises peuvent elles-mêmes créer des espaces de co-working pour leurs employés auxquels peuvent également accéder dans certains cas des utilisateurs non salariés des entreprises en question. C’est ce qu’on appelle le « corporate coworking », aussi appelé « corpoworking »).  Quoi qu’il en soit, en principe, ces lieux de co-working sont plus urbains que les télécentres (installés en général en zone périurbaine ou rurale pour permettre aux salariés d’éviter la migration pendulaire) et leur aménagement y est moins « corporate » que dans les centres d’affaires. Très prisés par la génération Y, ces espaces de co-working permettent aux travailleurs indépendants (free lance, graphistes, journalistes, etc.) de pouvoir trouver, dans ces lieux et à travers ces réseaux, des espaces de socialisation propres à l’entreprise. Ce qui différencie un espace de co-working d’un café ou restaurant wifi tient selon Actinéo dans « la confidentialité garantie par ces lieux payants, la mise à disposition de l’équipement nécessaire pour travailler sur la durée, et surtout, l’intégration d’un réseau de travailleurs encourageant les échanges et le travail collectif ». De la même façon, ces espaces de co-working proposés selon des formules d’abonnement mensuel (les tarifs varient selon les services auxquels le travailleur a accès) permettent une plus grande appropriation des lieux et du temps (les offres n’étant plus facturées à la journée ou à l’heure comme c’est le cas dans les centres d’affaires plus classiques).

Quoi qu’il en soit, cette nouvelle façon de concevoir le travail collaboratif fait beaucoup réfléchir, y compris le monde des architectes qui considère que le modèle développé par l’emblématique start-up WeWork révolutionne les espaces de travail. Dès lors, on comprend que la médiatisation de ces nouveaux espaces de travail collaboratif ne tienne pas seulement à la fulgurante réussite de WeWork. Créée en 2010, cette start-up était en juin 2015 valorisée 10 milliards de dollars suite à une levée de fonds de 400 millions. (Notons qu’en décembre 2014, soit 6 mois auparavant, la start-up était valorisée deux fois moins…). Maintenant  WeWork est valorisé à 15 milliards de dollars minimum. (Certains sites d’information anglo-saxons affirment même 16 milliards de dollars en mars 2016); c’est donc désormais l’une des start-up les mieux valorisées du monde!

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C’est certainement ce qui explique que ce marché des espaces de co-working soit en forte expansion. En avril 2016, le journal Metro Belgique affirme que depuis 2006, le nombre d’espaces de co-working dans le monde a fortement a doublé (à fin 2015, ce chiffre s’établissait à 7.800 )  et les estimations pour 2018 iraient à plus de 37.000 espaces dans le monde.

Face à de tels éléments, comment ne pas s’engager dans le coworking? Tout d’abord, il faut garder à l’esprit que tout le monde n’est pas WeWork, même si cette start-up inspire ses consoeurs françaises. En outre le modèle n’est pas à l’abri de la conjoncture. Par ailleurs, une dérive du modèle de co-working vers celui du co-living, « une unité de temps et de lieu pour le travail, la vie privée et les loisirs dans le cadre d’immeubles réhabilités » selon François-Xavier de Vaujany n’est pas à exclure. Certes ce modèle apparu au Moyen Age avec les communautés monastiques comme le rappelle justement François-Xavier de Vaujany n’est pas nouveau ou inquiétant en lui-même mais ce qui fonctionne avec une communauté liée par des principes spirituels (vivre et travailler ensemble dans la fraternité sous la direction d’un abbé, dans un espace et un temps uniques) peut-il également s’appliquer au monde du travail des entreprises ? Si on prend en considération le fait que WeWork  se lance dans ce co-living, cela fait réfléchir… Plus encore, des plateformes pour centraliser des propositions de « co-homing » voient désormais le jour: moyennant 5 € par jour et par personne (le montant peut varier entre 1 € et 15 € la journée), vous pouvez maintenant vous rendre chez un particulier, rejoindre 6 à 8 personnes et travailler « comme à la maison ».  Jusqu’où ce modèle de co-working peut-il donc aller? Gardons enfin à l’esprit qu’en France, les chiffres du co-working sont encore tout relatifs. L’enquête réalisée en septembre 2015 sur 1204 actifs français issus du secteur public et privé révèle en effet que le nomadisme ne s’effectue à fin 2015 qu’à 15% dans des espaces de co-working et à 26% dans des restaurants ou cafés (Baromètre Actinéo CSA 2015). Cela nous laisse par conséquent le temps de voir évoluer ce modèle.

Pour conclure, réfléchir à ces nouveaux espaces de travail nous permet de prendre un peu de hauteur sur les questions de qualité de vie au travail qui nous préoccupent tant. Cela nous permet également de prendre du recul sur nos modes de collaboration et de management de nos ressources humaines. Pour autant n’oublions pas que limiter nos réflexions sur la qualité de vie au travail à ces questions d’espaces physiques serait nier la dimension managériale des questions de santé au travail… Il y a tant à faire comme en témoigne le 3ème Plan Santé au Travail!

 

 

8 commentaires sur “Qualité de vie au travail et espaces de travail

  1. Article intéressant : Je pense qu’à trop rationaliser les espaces de travail on a fini par les dénaturer, les rendre beaucoup trop froids, trop impersonnels. Mais quelle est la part du mal-être lié à l’espace de travail et celle liée au travail lui-même ? Quand on fait un travail peu intéressant (voir l’article sur les « jobs à la con » du Nouvel Obs), on se sent d’autant plus mal que l’environnement n’est pas chaleureux, non ? Les espaces de co-working, les tiers-lieux sont chaleureux… mais pas « personnels » puisque chacun s’installe où il veut, au gré de l’affluence, du style de travail à réaliser… A réfléchir !

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  2. […] Dans l’approche organisationnelle, la question du bonheur en entreprise portée par le CHO renvoie aux pratiques favorisant la qualité de vie au travail et la convivialité entre collègues. C’est en effet ce que suppose la transposition du concept anglosaxon d’happiness au mode de l’entreprise. Il est donc question d’aménagement des espaces de travail et des temps de vie au travail: des espaces conviviaux et ludiques sont crées sur le modèle des espaces de co-working et la vie au travail de chacun est facilitée par une prise en charge de sa restauration et de tous ses besoins pouvant être satisfaits notamment par le biais d’une conciergerie d’entreprise (les « tech companies » américaines servant souvent de modèles). Une fois encore je note cependant que favoriser la bienveillance managériale permet également de s’intéresser à ces questions (cf. par exemple mon billet sur les nouveaux espaces de travail). […]

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  3. […] Qui n’a pas encore entendu parler des bienfaits des espaces de co-working, de la facilité à se former grâce aux learning hubs ou des innovations engendrées par les fab labs ? Pour autant êtes-vous au clair sur ces nouveaux espaces de travail et leurs conséquences managériales ? Si ce n’est pas vraiment le cas, ce billet devrait vous apporter quelques éléments de réflexion, en complément de celui déjà publié. […]

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