Au secours! Les incivilités au travail nous gouvernent ou presque…

 

Elles sont partout! A la télévision et à la radio, dans les villes et les campagnes, dans lieux publics et les familles, dans les transports en commun et même dans les entreprises… Elles concernent tout le monde: les parents et les enfants, les forces de l’ordre, le personnel enseignant, les personnes aux guichets de renseignements… et bien entendu les managers et les collaborateurs. De qui s’agit-il? Des incivilités en tous genres. Pour autant savons-nous précisément les repérer pour mieux s’en emparer et les éradiquer? Rien n’est moins évident. Je vous propose donc aujourd’hui d’éclaircir cette notion et les réalités auxquels elle est souvent associée: savoir et connaître étant à mon sens les premiers pas vers une prise de conscience salutaire et une lutte individuelle et collective favorisant le retour d’un respect bienveillant au travail.

 

L’actualité est riche en événements où les incivilités, y compris au travail, sont dénoncées. Pour autant est-ce une réalité ou un effet grossissant des médias? Pour répondre à cette question, je vous propose trois approches complémentaires: la première consiste en un petit test d’autodiagnostic disponible par ce lien; la seconde est une approche statistique, la troisième est une clarification scientifique.

 

Aborder la question de l’impolitesse au travail est toujours délicat. Pourtant c’est une nécessité tant elle peut faire souffrir le collectif et chacun des salariés. Mais de quoi parle t’on en fait? Selon Jean-Marc Stébé (in Dictionnaire des risques psychosociaux, 2014, pp.384-386), l’incivilité fait référence à des situations très différentes: cela « va du manque de politesse et de savoir-vivre aux dégradations physiques mineures de l’environnement, en passant par les infractions aux codes législatifs en vigueur qui régissent la vie citoyenne ». Dès lors, en réalisant le test proposé ci-avant, vous aurez une photographie de vos propres comportements ou de ceux de vos collègues. Présentés sur le ton humoristique, vous pourrez peut-être faire passer des messages et (faire) prendre conscience des 4 grandes formes d’incivilités auxquelles vous êtes confronté(s). Jean-Marc Stébé en s’appuyant sur une typologie définie par Jean-Yves Trépo les définit ainsi:

  • à côté des incivilités de défection (c’est-à-dire ne respectant pas les règles de la vie en commun, comme par exemple en parlant très fort dans un open-space),
  • il y a l’incurie provocatrice (arriver ivre au bureau en fait partie)
  • mais également l’agression symbolique (envoyer des emails injurieux, tenir en réunion des propos humiliants, faire des graffitis sur les portes de bureau ou les voitures des personnes visées, etc.).
  • A ces formes d’incivilités s’ajoutent bien entendu les agressions physiques à proprement parler envers des personnes et/ou contre des biens (bien que non concerné, n’avez-vous d’ailleurs jamais échappé à la colère d’un collègue qui s’exprimait par le jet d’un objet au travers de votre open space?).

 

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Ces premiers éléments sont renforcés par les données statistiques dont nous disposons également.

En 2015, un colloque à l’Assemblée Nationale traitait de ce sujet des incivilités au travail:  une enquête menée en ligne du 7 au 16 septembre 2015 par l’institut Ginger pour le cabinet de prévention Eléas auprès de 1001 salariés français représentatifs (selon la méthode des quotas) donne des résultats sans appel: plus de 4 salariés sur 10 se disent être exposés aux incivilités; l’open space et la collaboration en mode projet développent l’exposition aux incivilités (respectivement à 58% et 52%); plus d’un salarié sur 2 sanctionnent l’utilisation excessive des téléphones portables, que ce soit en réunion ou en entretien de face à face. Ces résultats renvoient à une enquête de 2014 aux informations complémentaires également citée dans ce colloque.

En 2014, une enquête menée en ligne du 20 février au 6 mars en France par l’institut Ginger pour le cabinet Eleas auprès d’un échantillon représentatif de 1 008 salariés (selon la méthode des quotas) transmet des chiffres qui font en effet également réfléchir: 42% des salariés se disent exposés à des incivilités au travail (cf. des clients, des visiteurs ou des collègues qui ne disent pas bonjour, font preuve de violence verbale ou dégradent des espaces communs). Dans le détail, les résultats sont encore plus significatifs (un article de France TV Info en date du 11/06/2014 synthétisant cette étude est également utilisé en complément): peu importe que l’organisation soit publique ou privée, 11% des salariés se déclarent très exposés aux incivilités, 31% assez exposés mais 45% des salariés se disent quand même un peu exposés. Seuls 13% des salariés se disent pas du tout exposés. Par ailleurs, 46% des salariés estiment que les incivilités ont augmenté ces dernières années (cette proportion grimpe à 54% dans la fonction publique).

 

 

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Interrogés sur la définition des incivilités, ces mêmes salariés évoquent d’abord à 66% le non-respect des codes de politesse, de courtoisie et des règles, puis la violence verbale et les comportements agressifs (21%). La dégradation matérielle vient loin derrière (10%) et les propos discriminatoires et les comportements inappropriés sont peu dénoncés (respectivement 7% et 1%). D’après eux, les incivilités sont majoritairement provoquées (à 54%) par des personnes extérieures (clients, visiteurs, patients, usagers, parents d’élèves…) mais les collègues de travail (48%), les managers et la direction (18%) ou les représentants du personnel (6%) ne sont pas en reste.

Si l’entreprise est plus spécifiquement regardée, 84% des salariés interrogés évoquent au titre des incivilités les espaces partagés laissés sales et en désordre mais également les collègues qui gênent la concentration par des bruits.

Les salariés en contact avec le public ont un jugement encore plus acerbe: selon eux les personnes faisant preuve d’une plus grande incivilité sont celles qui n’attendent pas leur tour (87%) ou qui parlent fort, ont des enfants bruyants ou étalent leur vie privée au téléphone (79%). Viennent ensuite les visiteurs qui ne disent ni bonjour ni au revoir (78%) et ceux qui font preuve d’irrespect par le regard ou la voix (72%) ou tutoient sans réciprocité (64%).

Seuls 35% des salariés pensent que leur employeur est conscient des problèmes et prend des mesures (mais seulement 15% des employeurs mettent en place des formations sur les comportements et les relations entre collègues). 30% des salariés interrogés estiment cependant que leur employeur n’est pas conscient des incivilités subies par ses salariés ou pire qu’il en est conscient mais n’agit pas (35%). Pourtant 77% des salariés interrogés affirment déjà avoir souffert de symptômes qui ont eu des répercussions sur leur santé (stress, anxiété, troubles du sommeil) et 75% estiment même que cela a pu affecter leur productivité (démotivation, difficulté de concentration). Le verdict est sans appel!

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Ces statistiques vont d’ailleurs dans le même sens que les travaux universitaires publiés sur le sujet. Mon objectif n’étant pas de faire ici une revue de littérature, je prendrai les principaux éléments rendus accessibles par les auteurs eux-mêmes. Christine Porath, Professeur de management à l’Université de Georgetown et Christine Pearson, Professeur de leadership à Thunderbird School of Global Management ont par exemple publié en 2013 dans la Harvard Business Review différents résultats sur l’étude des coûts de l’incivilité.

Après avoir étudié les données de plus de 14.000 personnes à travers les États-Unis et au Canada (étaient interrogé des employés, des managers, des cadres RH, des présidents et membres de direction mais également des médecins, des avocats, des juges, des consultants, des entraîneurs, etc.), les résultats obtenus par ces deux universitaires sont très clairs: pratiquement toute personne qui éprouve des incivilités en milieu de travail répond de façon négative (voire adopte ouvertement dans certains cas des mesures de rétorsion). Les employés sont moins créatifs quand ils se sentent non respectés, et beaucoup en ont marre et partent. Environ la moitié des salariés diminue volontairement ses efforts au travail ou abaisse la qualité de son travail. Et les incivilités portées par les salariés ont aussi des répercussions au niveau des clients. Les travaux de ces auteurs montrent également que les gens sont moins susceptibles d’acheter à une entreprise avec un employé qu’ils perçoivent comme étant grossier.

Selon un autre sondage réalisé par Christine Porath et Christine Pearson auprès de 800 managers et employés dans 17 industries dont fait état l’article précité, les salariés victimes d’incivilités affirmaient après avoir :

  • intentionnellement diminué leur effort de travail (48%)
  • intentionnellement diminué le temps passé au travail (47%)
  • intentionnellement diminué la qualité de leur travail (38%)
  • perdu du temps de travail à se soucier de l’incident (80%)
  • perdu du temps de travail en évitant le délinquant (63%)
  • constaté que leur performance avait diminué (66%)
  • 78% ont également déclaré s’être désengagés envers l’organisation facilitant de tels comportements
  • 12% ont dit avoir quitté leur emploi en raison de ces incivilités
  • et 25% ont même admis avoir reporté frustration sur leurs clients!

 

 

Dans de telles conditions comment ne pas s’emparer d’un point de vue managérial de ces problèmes d’incivilités au travail? Mais que faire? Outre une prise de recul nécessaire sur l’aspect destructeur de ces comportements nocifs et des ruminations mentales qu’elles engendrent inévitablement ou presque, pour Christine Porath et Christine Pearson, les réponses sont de différentes natures:

  • il revient tout d’abord à chacun d’entre nous, dirigeants, managers et même collaborateurs, de nous surveiller sur nos propres comportements et de promouvoir la civilité entre nous. Bref, il s’agit donc de remettre en valeur les notions d’exemplarité et de responsabilité. Concrètement, arrêtons par conséquent nos smartphones en rentrant en réunion, modérons nos propos et nos comportements même en cas de fort stress (la pratique de la mindfulness peut par ailleurs nous y aider), etc..
  • Le développement d’une culture d’entreprise de respect et de bienveillance managériale est aussi nécessaire. Rappeler de telles évidences peut paraître étonnant et pourtant c’est loin d’être incongru, au contraire. De grands patrons, des DRH de grands groupes et des universitaires s’emploient d’ailleurs à remettre à l’honneur de telles notions parfois considérées comme désuètes.
  • Sollicitons également plus souvent l’avis de nos collaborateurs (et pas uniquement lors des évaluations 360°!), soulignons plus souvent les progrès constatés (en dehors des périodes des entretiens annuels bien entendu) mais n’hésitons pas non plus à sanctionner les comportements toxiques constatés.
  • Ayons plus de recul sur nos cadres de référence: ce qui est acceptable dans une culture peut être considéré comme une véritable insulte dans une autre (prenons par exemple la question du début effectif des réunions). Apprenons également en marque de respect les expressions de base de civilité de nos interlocuteurs tels que « s’il vous plaît », « merci » et « excusez-moi » dans la langue de nos hôtes.
  • Restons agréables, courtois et ouverts à l’échange dans toutes les circonstances. (Vive la fameuse écoute active !). Et surtout n’hésitons pas à rire de nous-mêmes en cas de faux pas. Un peu d’authenticité et d’humilité ne peuvent faire de mal, au contraire!
  • Intégrons la civilité dans les critères de savoir-vivre recherchés dans les recrutements (Christine Porath et Christine Pearson rappellent toutefois que la pratique n’est pas encore généralisée: seulement 11% des organismes déclarent considérer la civilité au cours du processus d’embauche, et beaucoup d’autres reconnaissent n’enquêter à ce sujet que de façon superficielle).
  • Et s’il le faut, n’hésitons pas à enseigner la civilité, que ce soit par des jeux de rôles ou des comportements filmés en situation: Christine Porath et Christine Pearson indiquent ainsi qu’un quart des managers et des employés interrogés disaient ne pas comprendre ce que cela signifie d’être civiles; ils ne considéraient donc pas avoir des comportements impolis! La plupart du temps, les changements de comportements sont radicaux après de telles prises de conscience. Pourtant, certains ne voudront pas se remettre en question. Dans ces cas là, ces auteurs rappellent qu’il ne faut retenir ces personnes aux comportements toxiques, quand bien même elles seraient productives: l’organisation aurait plus à y perdre à moyen et long termes.

 

 

 

 

La conclusion de ce billet sera rapide puisque tout (ou presque!) a été dit: désormais vous avez conscience que les incivilités, surtout en milieu professionnel, sont plus courantes et plus sournoises que vous ne le pensiez. Vous savez également que les conséquences individuelles, managériales et organisationnelles sont plus importantes que vous ne pouviez le croire avant la présentation de ces quelques études. Vous avez aussi été alertés sur le fait que les relations commerciales de votre entreprise peuvent directement être impactées par de telles pratiques. S’emparer de ce sujet est donc une nécessité managériale et économique et c’est la responsabilité de chacun, quelque soit son poste, qui est engagée pour lutter contre ce risque psychosocial souvent minoré car méconnu. Quelques pistes managériales sont déjà tracées. Alors, que décidez-vous?

3 commentaires sur “Au secours! Les incivilités au travail nous gouvernent ou presque…

  1. […] Par contre nous pouvons nous dispenser de certaines situations nocives (que nous avons parfois même contribué à créer!) en les combattant « à la racine », de façon systématique et sans aucune complaisance: par exemple, arrêtons de vérifier notre téléphone au cours d’une conversation formelle. Comme le soulignait récemment Travis Bradberry, rien ne rebute plus vos interlocuteurs qu’un message SMS que vous envoyez ou consultez pendant une conversation. Sans même vous en rendre compte, un simple rapide coup d’œil à votre téléphone suffit à leur faire comprendre qu’ils vous ennuient ou que vous avez plus important qu’eux en tête. Bref, n’oublions pas le pouvoir de la communication non verbale! Gardons également à l’esprit que ces attitudes vont au delà de la simple distraction mais contribuent au développement de ces incivilités qui sont très courantes et nous pourrissent la vie, notamment au travail.  […]

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