Comment développer la résilience au travail ?

 

Confrontés à un collègue qui est de retour au travail après une longue absence (personne ne vous a dit s’il s’agissait d’un burnout ou d’une grave maladie), vous avez certainement pu observer le cas de figure suivant : au-delà de ses modifications physiques (changement de poids, d’apparence,…), cette personne a profondément évolué ; un « je-ne-sais-quoi » qui la rend plus curieuse et pleine de vie mais aussi plus gaie tout en étant plus grave et plus présente à l’instant. Vous en venez à penser qu’elle a changé de vie, changé de partenaire, hérité ou bien gagné au loto.

Quelle n’est pourtant pas votre stupeur en apprenant que cette personne a en fait affronté le décès d’un proche atteint d’une maladie incurable, accumulé les épreuves de la vie voire même lutté contre une maladie chronique évolutive. Ce contraste entre l’attitude de ce collègue  résilient, car c’est bien de cela dont il s’agit, et celles d’autres collaborateurs toujours enclins à se plaindre ou à ronchonner vous pousse à vous interroger. Je souhaite donc aujourd’hui accompagner votre réflexion sur cette résilience au travail pour présenter comment elle fonctionne et surtout comment la développer.

 

La question de la résilience a été mise en lumière au travers des expériences de vie des survivants de l’Holocauste, du terrorisme ou de la guerre mais elle peut aussi être considérée au niveau de chaque individu confronté à des événements traumatisants en milieu hostile, le monde professionnel compris. Dans son article « How resilience works ? » paru dans la Harvard Business Revue de 2002, Diane Coutu cite les propos de Dean Becker, PDG d’Adaptiv Learning Systems, une entreprise américaine qui développe et offre des programmes de formation sur la résilience : «Plus que l’éducation, plus que l’expérience, plus que formation, le niveau de résilience d’une personne déterminera qui réussit et qui échoue. C’est vrai dans le service de cancérologie, c’est vrai aux Jeux olympiques, et c’est vrai dans la salle de conférence ». Certes, les intérêts de ce chef d’entreprise le poussent à adopter ce point de vue mais au-delà de cette considération intéressée, ne peut-on y voir une forme de vérité ?

 

En France Boris Cyrulnik est considéré comme l’un des spécialistes de la résilience mais la recherche universitaire sur la résilience a commencé dès les années 1950 avec des études pionnières menées dans trois directions : l’étude longitudinale d’Emmy Werner et Ruth Smith menée sur la résilience des enfants nés dans une île de l’archipel d’Hawaï ; l’étude du processus de résilience de Michael Rutter portant sur des enfants confrontés à des parents ayant des troubles mentaux, ayant vécu la séparation de leur mère ou provenant de milieux désavantagés ; le projet « Compétence » et les études menés par Norman Garmezy sur le développement des enfants ayant affronté des situations très difficiles. Les premières études portant sur la résilience des adultes sont parues plus récemment mais il ressort que les définitions sur la résilience sont désormais multiples. Malgré cela, Serban Ionescu (in Traité de résilience assistée, PUF, 2011, p.3) relève deux points essentiels sur lesquels  toutes ces définitions s’accordent :

  • La résilience caractérise une personne ayant vécu (ou vivant) un événement potentiellement traumatisant ou de l’adversité chronique mais qui a fait preuve d’une bonne adaptation (sachant que le niveau de résilience augmente avec l’âge)
  • La résilience est un processus résultant des interactions entre la personne, sa famille et son environnement.

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La prise en considération du travail et des situations professionnelles pour l’étude de la résilience au travail est alors pertinente. Pour autant, selon Boris Cyrulnik, cela suppose de lutter contre ce qui appauvrit les deux éléments fondamentaux de la « valeur » travail et de manière consubstantielle de l’acte résilient : la solidarité et le sens. Or la société a fait le choix d’un modèle matérialiste qui sclérose, déresponsabilise et isole.

« La solitude est peut-être ce qui singularise le plus la société capitaliste moderne et dans les mêmes proportions affecte l’acte résilient. Travailler quinze heures par jour seul face à son écran est synonyme de performance intellectuelle ou sociale. Mais réduit à néant la solidarité. La culture du sprint, celle de la technologie qui exhorte à aller plus vite et à tout mesurer – y compris la performance – si symptomatiques de l’occident, provoquent en premier lieu l’isolement. Nos performances génèrent l’isolement sensoriel, facteur de vulnérabilité », Boris Cyrulnik, Acteurs de l’Economie La Tribune, 19/11/2010.

 

Ce contexte d’isolement et de vulnérabilité au travail résulte également des phénomènes d’hyper spécialisation et de morcellement du savoir. C’est ce qui explique que l’on soit totalement désorienté devant une situation étrangère à ce que l’on maîtrise habituellement. A cela s’ajoute que de nombreux métiers sont désormais intellectuels, immatériels, voire impalpables (et parfois même indéfinissables par ceux-là mêmes qui les accomplissent). Au gré des rachats d’entreprises, les centres décisionnels et la hiérarchie s’éloignent et sont souvent invisibles, voire inconnus, et cela peut contribuer à accentuer la dilution des responsabilités. Il devient alors très difficile de comprendre ce que l’on fait et de donner du sens à son travail. Or la valeur du travail n’est pas dans le travail en lui-même mais dans la signification qu’on lui donne.

« La fatigue physique et collective d’autrefois a laissé place à l’acrimonie individuelle. La pénibilité était alors immense, mais point de dépression ou d’épuisement professionnel dûs au non sens et à la solitude. […] La souffrance physique est dorénavant insidieuse. « Je n’ai pas bougé de la journée, mais je ne me sens pas bien, je vais donc mal dormir, et pendant l’insomnie je vais ruminer », entend-on communément.». », Boris Cyrulnik, Acteurs de l’Economie La Tribune, 19/11/2010.

 

Les nouvelles souffrances sont psychiques et selon les victimes, elles sont bien plus dévastatrices que les souffrances physiques du fait qu’elles sont insidieuses, invisibles et non objectivables.  Du coup, parce qu’il devient impossible de les partager, on les vit souvent seul et en silence.  

« Quelle solidarité peut-on produire lorsque la tâche consiste à demeurer, seul, fixé, même figé sur l’écran de son ordinateur ? » Boris Cyrulnik, Acteurs de l’Economie La Tribune, 19/11/2010.

 

Or la solidarité et le sens donné à la souffrance sont nécessaires à l’acte résilient, ne l’oublions pas. Pourtant, ce sont souvent des comportements diamétralement opposés qui sont valorisés en entreprises: les comportements toxiques.

« On valorise sans limite la gloire, le gain, la consommation, le succès, et l’accomplissement individuels, mais la voie pour y parvenir est celle de la torture du petit chef, de la déconsidération humaine, de l’isolement, de l’absence de sens dans le travail ». Boris Cyrulnik, Acteurs de l’Economie La Tribune, 19/11/2010.

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Dès lors, une saine prise de conscience doit être encouragée: pour qu’il y ait résilience au travail, il faut en effet que le sens du travail et la solidarité ainsi que la responsabilisation des membres de l’organisation soient promus. Cela remet par conséquent en lumière l’importance des actes managériaux en eux-mêmes mais également l’importance des rôles occupés par les managers (cf. les travaux d’Henri Mintzberg). Cela rappelle toutefois deux évidences que l’on a tendance à oublier: le management ne se limite pas au contrôle des résultats et à l’entretien annuel d’évaluation et le management des ressources humaines s’apprend!

 

Quoi qu’il en soit, d’autres pistes managériales peuvent également être entreprises pour faciliter la résilience au travail. Pour cela  il faut revenir à l’essence même de ce qui constitue la résilience.  Tout d’abord, il faut garder à l’esprit que la capacité résiliente de chacun est conditionnée à la manière dont il a été construit avant le traumatisme. Ceci dit, comment se fait-il que l’individu résilient peut quand même parvenir à s’en sortir ? Pour Boris Cyrulnik et ses collègues (in Ces enfants qui tiennent le coup, Hommes et Perspectives, 1998), cela tient au fait de l’utilisation de ses caractéristiques personnelles :

  • Un Q.I. élevé ou des capacités cognitives suffisantes
  • Une capacité à être autonome et efficace dans ses rapports à l’environnement
  • Un sentiment de sa propre valeur et de son auto-efficacité
  • Des bonnes capacités d’adaptation relationnelles et d’empathie
  • Une capacité à anticiper et à planifier
  • Un sens de l’humour développé permettant de prendre du recul et de relativiser.

 

S’il est vrai que ces caractéristiques personnelles varient d’une personne à l’autre, faut-il cependant rappeler que des programmes de formation peuvent être entrepris sur chacun de ces items, sauf peut-être au niveau du sens de l’humour, à moins de considérer que cela rejoint les pratiques développées par une intelligence émotionnelle accrue.

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C’est également sa capacité de résistance voire de rébellion par rapport aux normes établies qui aide la personne résiliente à s’en sortir. Or « le système éducatif et la société, notamment celle du travail, dans sa globalité, sélectionnent les routiniers et leur donnent les pouvoirs […] et le « marginal » est éliminé de la société » (Boris Cyrulnik, Acteurs de l’Economie La Tribune, 19/11/2010). Il y a donc un paradoxe à lever : si la société ou plus simplement une organisation veut faciliter la résilience de ses membres en souffrance, elle doit les laisser « sortir du cadre », ce qui les rend de fait déviants (mais je rappelle que d’un point de vue conceptuel, la déviance n’est pas forcément négative) !

 

En conclusion, toute organisation doit faciliter la résilience au travail si elle souhaite réellement lutter contre les risques psychosociaux et plus globalement surmonter tous les traumatismes auxquels ses membres sont confrontés. Pour autant cela suppose qu’elle sache se remettre en question dans ses pratiques managériales (« exit » les comportements toxiques si courants) et qu’elle fasse la part belle à la solidarité, au sens et à la responsabilisation. D’autres pratiques managériales peuvent également être encouragées: la montée en compétences, y compris en ce qui concerne les fondements mêmes du management des ressources humaines, le développement de l’intelligence émotionnelle et la déviance positive. Pour Diane Coutu (cf. son article déjà cité paru en 2002 dans la  Harvard Business Review) il existe en effet trois caractéristiques communes à des personnes ou des organisations résilientes: une acceptation ferme de la réalité; une croyance profonde que la vie a un sens (l’appui sur un système de valeurs solides sous-tend cette conviction) et une capacité à s’adapter à l’environnement et à improviser. Sortir de la norme qui sclérose, détruit et nuit à la résilience au travail devient donc une nécessité mais encadrer de telles pratiques est également nécessaire et possible, rappelons-le.

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