Ce que les leaders courageux font différemment

Un récent article issu de la Harvard Business Review a attiré mon attention car il rejoint mes questionnements habituels sur le leadership spirituel : il traite de ce que les leaders courageux font différemment. Je souhaite donc m’appuyer sur cette base de réflexion pour rappeler quelques éléments conceptuels fondamentaux que les leaders ont tendance à oublier dans leurs pratiques : être courageux, ce n’est pas être intrépide et sans peur mais au contraire faire preuve d’ouverture, d’humilité, de principes, et même de vulnérabilité. Autant de pistes abordées dans cet article qui pourront être utiles à chacun par ces temps difficiles.

Dans son article « ce que les leaders font différemment » paru le 7 janvier 2022, Jim Detert, auteur du livre « Choosing Courage » (HBR Press 2021) et professeur de management à la Darden School of Business de l’université de Virginie analyse les leaders courageux comme ces caractéristiques : ouverture et humilité, des principes privilégiés sur une potentielle popularité, un soin apporté à établir un environnement sécurisant pour leurs équipes.  Je vais donc reprendre ces éléments en y apportant certains éclairages conceptuels déjà développés par ailleurs.

Les leaders courageux font preuve d’ouverture et d’humilité

Selon Jim Detert, le courage n’est pas la témérité et confondre ces deux réalités peut même être très dangereux. Par contre, une fois que la compétence du leader est établie aux yeux de tous (mais cela repose la question du syndrôme de l’imposteur, du sentiment de compétence (au lieu de la compétence réelle) ou sentiment de sur-confiance : lire cet article pour un éclairage conceptuel), il est apprécié que ce même leader sache reconnaître qu’il ne sait pas tout et/ou qu’il a besoin d’aide et cela à plus forte raison que son organisation affronte une crise inédite comme la pandémie de la Covid-19. Si ce leader sait par ailleurs faire preuve d’humilité en sachant présenter ses excuses et reconnaître ses torts quand ils sont avérés (on n’est donc loin de l’humiliation tant redoutée en position de leadership), selon Jim Détert, ce leader apparaîtra comme étant plus sympathique et digne de confiance que s’il cherche à dissimuler ses erreurs par des mensonges ou des omissions.

Ces éléments me renvoient à des écrits que j’ai pu développer ici ou là : je vais donc reprendre certains éléments conceptuels présentés dans des publications antérieures car cela me permettra de présenter ma conception de l’originalité des leaders courageux. (Les références de mes articles seront néanmoins indiquées si de plus amples développements étaient nécessaires).

Tout d’abord, si l’humilité apparaît désormais comme la 6ème caractéristique essentielle de la personnalité et fait l’objet de promotion par Edgar H. Schein, professeur émérite de management à la MIT Sloan School of Management (cf. Schein, E.H. (2015), L’art de poser humblement des questions, Ixelles éditions, p. 26-37), ce n’est pas un hasard. En effet, comme j’ai eu l’occasion de le développer en 2018 dans un article sur le leadership par l’humilité, les travaux de Dan Cable, Professeur de comportement organisationnel à la London Business School, montrent que le type de leadership descendant (du sommet vers la base) n’est plus d’actualité et bien plus, qu’il est devenu contre-productif (cf. Dan Cable, Comment fonctionne réellement le leadership par l’humilité, article Harvard Business Review France, 22/11/2018). La raison ? En fait, ce chercheur montre qu’en se concentrant de façon excessive sur les contrôles et les objectifs finaux et pas assez sur leurs employés, les dirigeants ont plus de difficultés à atteindre les résultats qu’ils désirent parce que leurs comportements engendrent le stress et la peur. Bien entendu, je souscris très majoritairement à cela, à la nuance près que le flicage peut également mettre au jour des comportements transgressifs vertueux pour l’organisation (pour plus d’explications, cf. mon article Le flicage au travail, un comportement managérial toujours toxique ?)

En outre, savoir reconnaître son manque de savoir ou son besoin d’aide renvoie également à la notion d’authenticité. Je me souviens à ce sujet d’un article publié en 2017 dans le journal canadien La Presse suite à un  colloque montréalais de McGill où Alain Héroux, Docteur en théologie de l’Université du Québec à Chicoutimi disait déjà que la réalité des vécus en entreprises impose un retour à plus d’authenticité : « Après la corruption et la collusion, on est de plus en plus critique et exigeant envers les dirigeants. Les gens sont malheureux, épuisés et tannés de se faire dire n’importe quoi. On est dans un monde où on veut des leaders qui sont vrais, courageux, inspirants et capables de faire preuve d’humanité. Ça passe par un leadership authentique ». Quelle actualité de ces propos après 2 ans de pandémie Covid-19 !

Cette notion d’authenticité se retrouvant également dans les autres caractéristiques défendues par Jim Detert, reprenons ses propos.

Les dirigeants courageux privilégient les principes et apportent un soin particulier à établir un environnement sécurisant pour leurs équipes

Pour le professeur de management Jim Detert, le vrai et bon leadership ne consiste pas à gagner un concours de popularité mais il s’agit plutôt d’accomplir un travail important au nom des autres, même si cela suppose de ne pas plaire à tout le monde. Ce sont donc le respect des principes, pour ne pas dire les valeurs, qui importent plus que la satisfaction d’un besoin narcissique.

De la même façon, les dirigeants courageux se concentrent selon Jim Detert sur la sécurisation des environnements pour les autres en « encourageant le courage » : pour faire face aux défis, mieux vaut selon lui avoir des collaborateurs qui savent se rebeller plutôt que toujours se conformer car c’est cette capaciter à s’opposer et non à flatter qui est source de créativité, ce qui est très précieux en temps de tempête pour s’en sortir. Dès lors, tout manque de conformisme est apprécié et doit être rendu possible : c’est en cela que le leader fait aussi preuve de courage.

Cette double conception me rappelle les articles de recherche que j’avais mobilisés pour ces publications de 2017 le leadership authentique et la qualité de vie au travail (QVT) et de 2020 le courage managérial est-il révélateur de certains types de leadership performants ?  dont leurs rappels me semblent utiles.

Selon J. Avolio, , F. Luthans, and F. O. Walumbwa (2004, Authentic leadership: Theory building for veritable sustained performance. Working paper: Gallup Leadership Institute, University of Nebraska-Lincoln, p. 4,) les leaders authentiques sont en effet :

  • ceux qui sont profondément conscients de la façon dont ils pensent et se comportent.
  • Ils sont aussi perçus comme étant conscients de leurs propres valeurs et de celles des autres mais également comme étant conscients du contexte dans lequel ils opèrent.
  • Ils sont enfin vus comme étant confiants, plein d’espoir et d’optimisme, résilient et de haut caractère moral.

A l’heure où l’on s’interroge sur comment être résilient, voici donc un premier indice…

Les travaux de B. Shamir et G. Eilam (in “What’s your story?” A lifestories approach to authentic leadership development. Leadership Quarterly, 16, 2005, 395-417) permettaient quant à eux de savoir que les leaders authentiques ont les quatre caractéristiques suivantes :

  • les leaders authentiques préfèrent rester fidèles à eux-mêmes plutôt que de falsifier leur leadership par une volonté de se conformer aux attentes des autres
  • les leaders authentiques sont motivés par des convictions personnelles plutôt que par l’obtention du statut, des honneurs ou d’autres avantages personnels
  • ils sont des originaux, pas des copies, c’est-à-dire qu’ils pensent par eux-mêmes et développent leur propre point de vue personnel plutôt que de copier celui des autres
  • les actions des leaders authentiques sont enfin basées sur leurs valeurs personnelles et leurs convictions.

Il n’est donc pas étonnant que ces leaders authentiques apprécient que leurs collaborateurs puissent également être dans l’authenticité et qu’ils fassent leur possible pour qu’ils puissent agir eux aussi en accord avec leurs propres valeurs : c’est en cela que ces leaders font preuve d’originalité par leur courage mis au service de leurs convictions.

L’article de Jim Detert s’arrête là mais il me semble néanmoins important de rappeler quelques éléments sur le courage en leadership et le leadership authentique auquel je l’associe pour donner plus de poids à son propos.

Les avantages du leadership par le courage et du leadership authentique

N’oublions pas en effet que le courage est non seulement une disposition d’âme ou un trait de caractère (cf. le CNRTL du CNRS)  mais aussi « l’ensemble des passions qu’on rapporte au cœur » (cf. le Littré).

Rappelons également que dans la littérature en management, le courage est généralement abordé comme une qualité, une vertu, un attribut, un trait, un comportement ou une compétence nécessaire pour être efficace dans la direction d’une équipe ou d’une structure. Or les avantages du courage sont multiples selon les travaux universitaires en management :

  • c’est un moyen de résister à l’autorité surtout si elle est abusive et de n’avoir aucun regret
  • mais également de découvrir ses erreurs (ou celles des autres) et d’y remédier.
  • Le courage est aussi ce qui permet de prendre à bras-le-corps l’incertitude.
  • C’est par ailleurs le moyen de protéger les personnes dans le besoin ou fragilisées.
  • Ce sont enfin souvent les personnes agissant le plus de façon courageuse qui sont susceptibles d’être les moins sensibles au stress mais aussi les plus porteuses d’espoir, de résilience et de positivité. Leur empathie et leur connectivité sociale, sans oublier leur propension à avoir un état d’esprit moral, sont par ailleurs également souvent reconnues.

A ces nombreuses qualités du leadership par le courage, on peut alors conjuguer les avantages du leadership authentiques :

  • L. Giallonardo, C. Wong et C. Iwasiw ont par exemple constaté que le leadership authentique contribue à l’engagement au travail et la satisfaction des salariés au travail (in Authentic leadership of preceptors: predictor of new graduate nurses’ work engagement and job satisfaction. Journal of Nursing Management, 2010, 18, 993-1003), ce qui est source de performance accrue.
  • De la même façon, les leaders authentiques contribuent au développement de la qualité de vie au travail de leurs collaborateurs par la capacité à influencer directement et positivement les aspects psychologiques et sociaux de l’environnement de travail de leurs employés (cf. Gilbreath, B., & Benson, P. G. (2004). The Contribution of Supervisor Behaviour to Employee Psychological Well-Being. Work and Stress, 18(3), 255-266).
  • Selon Julie Ménard et Luc Brunet (in « Authenticité et bien-être au travail : une invitation à mieux comprendre les rapports entre le soi et son environnement de travail. Pratiques psychologiques, Pratiques psychologiques, 2011), se comporter de manière authentique permet enfin au leader de favoriser le bien-être au travail de ses collaborateurs (cf. également Nelson, K., Boudrias, J., Brunet, L., Morin, D., De Civita, M., Savoie, A., & Alderson, M. (2014). Authentic leadership and psychological well-being at work of nurses: The mediating role of work climate at the individual level of analysis. Burnout Research, 1(2), 90-101).

Rappelons enfin que les recherches que Francesca Gino (Professeur à la Harvard Business School) a menées avec Maryam Kouchaki (Kellog School of Management, Northwestern University) et Adam D. Galinsky (Columbia Business School, Columbia University) ont montré que lorsque les gens ne se sentent pas authentiques au travail, c’est généralement parce qu’ils ont succombé à la pression sociale de se conformer. A partir de là, la remise en question de la norme à laquelle il a fallu se soumettre devient plus courant et le brown-out apparaît plus facilement. (Pour plus d’informations sur les liens que je fais entre l’absence de sens au travail et un retour à plus d’authenticité au travail, cliquer sur cet article de 2016).

Pour conclure, il y a encore beaucoup à développer sur le leadership spirituel mais je trouve que cet article de Jim Detert permet de répondre à un besoin immédiat de nos organisations et même de nos sociétés profondément bouleversées par cette pandémie qui n’en finit pas : il faut avoir le courage d’agir différemment. Les bouleversements issus de la pandémie et les vulnérabilités des organisations nous y obligent.

Les leaders sont ainsi concernés au premier chef. Confrontés à de tels ébranlements, ils vont en effet de par leur position devoir faire preuve d’une grande force mentale mais également d’une capacité à conserver une assurance à toute épreuve. Ils seront aussi amenés à faire face aux agressions professionnelles, stratégiques et économiques, en vue de se protéger eux-mêmes mais également ceux qui dépendent d’eux. Ils devront enfin avoir avec une attitude de recul et ils devront agir avec discernement. Mais tout cela ne pourra se réaliser sans qu’ils utilisent leurs moyens personnels, qu’il s’agisse de leurs propres croyances managériales ou en eux-mêmes, de leurs croyances en leurs collaborateurs de dignes de confiance, fidèles et efficaces, etc. ainsi que de leurs propres forces spirituelles. Bref, ils devront agir en tant que leader spirituel (cf. C. Voynnet-Fourboul et Q. Lefebvre (2010), « L’odyssée spirituelle des dirigeants. 5 passages de leadership », Revue internationale de psychosociologie, 2010/40 Vol. XVI, pp. 95-115 et au-delà mon précédent article). Par où commencer alors ? Agir selon ces principes des leaders courageux développés par Jim Detert est un bon début me semble-t-il car ce n’est qu’en se reconnaissant comme étant vulnérable que l’on peut être fort.

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